alterreso.ch > A l'origine du récit des 1001 Nuits...
A l'origine du récit des 1001 Nuits...

Catherine Zarcate se raconte à la Grande Oreille...

Question : pourquoi avez-vous choisi les 1001 Nuits ?
En 1980, quand j’ai commencé à conter professionnellement, plusieurs circonstances m’ont conduite à ce choix.
La première était le goût que j’avais depuis l’enfance pour ces histoires. Les Mille et Une Nuits, aux éditions des Deux Coqs d’Or, on été un des plus beaux livres de mon enfance. Ce fut un livre très réussi, aux textes recherchés et aux illustrations remarquables, imitées de Dulac. Toute petite fille, j’ai gribouillé en rêvant abondamment sur les petits bébés du « Pauvre Homme » assis sur les sables. En le retrouvant, des années plus tard, cela m’a fait un effet de « madeleine de Proust ».
Beaucoup de ces histoires me restent en répertoire : la Reine des Serpents, Le Rêve du Pauvre Homme. Il contenait des classiques, bien entendu, mais aussi des textes rares que j’ai mis des années à retrouver, comme l’Homme qui ne riait jamais (101 Nuits).
A mes débuts de conteuse, je cherchais un certain Orient ancien qui m’attirait et dans lequel je me sentais « chez moi ». Cette aspiration trouverait sa réponse plus tard avec ma découverte du Roi Salomon. Mais ce passage par les Nuits m’a ouvert de nombreuses portes. Celles des mondes arabes et persans et des sagesses soufies par exemple; j’ai aimé y approfondir les valeurs d’amitiés, de chaleur humaine, de prendre son temps, le faste royal, les djinns et le Merveilleux où on met une page pour dire ce que le conte européen dit en deux lignes, et où chaque héros est décrit jusqu’à ses grains de beauté !, bref, toutes choses qui font le charme de cet Orient. Pour certaines histoires, comme Marouf le Cordonnier, j’ai suivi la lecture soufie.
J’ai toujours aimé les livres rares ou introuvables. Or, Borgès, dans son Histoire de l’Eternité, raconte qu’à la 602ème nuit, « Shéhérazade raconte l’histoire de Shéhérazade ». Intriguée, je me laissais entrainer dans une quête qui m’amena de Galland à Mardrus en passant par Khawam jusqu’à enfin découvrir le trésor qui inspirait Borgès : la traduction anglaise par le Capitaine Burton, pour lequel Borgès avait une grande admiration.

Devenue spécialiste, multipliant les recherches, je mémorisais aisément les récits et entrais avec jubilation dans la démesure : le public redécouvrait l’art du conteur. Durant deux mois, je présentais à la Vieille Grille des soirées « à suivre », où j’égrainais les Nuits sans me répéter. On fit aussi les premières Nuis du Conte. Je me sentais tellement à l’aise dans ces univers, que j’aurais pu conter les Nuits toute ma vie ! Mais la fin de cette prodigieuse et truculente immersion vint pourtant : ma quête me mena vers les vieux fonds des grandes bibliothèques: le temps de Salomon était venu !

La deuxième circonstance fut qu’à l’époque, un énorme travail se développa en direction des populations issues de l’immigration maghrébine et je m’y engageai. Les Nuits furent notre terrain de rencontre privilégié, quelque chose de connu à la fois de tous les publics, milieux et continents et un territoire de l’interculturel dès le départ puisque Galland lui-même reçut plusieurs récits à l’oral par des conteurs maghrébins. J’étais donc à ma place, me sentant dans l’interculture par choix, naissance et éthique.

Enfin, et c’est tout proche, la dernière circonstance fut que le conte débutait. Nous étions peu de professionnels. S’appuyer sur un titre hyper connu tout autant qu’inconnu dans son détail – car qui connait Zoumouroud ou Zaïf Al Moulouk ? – était une condition nécessaire à l’époque du renouveau du conte. Le message était clair et c’était important qu’il le soit. Tout cela tombait bien pour moi.

On peut ajouter des choix artistiques : les qualités des récits, des univers et des rythmes m’ont séduite. Il y a dans ces récits un infini très important. L’infini des récits eux-mêmes, qui se succèdent et se renouvellent comme sans fin, ce qui est merveilleux pour un conteur. Le côté « roman » de ces contes qui ont toujours été plus littéraires que populaires ; le côté fleuri, où on peut parer les situations et personnages de mille adjectifs, où la faconde est permise, tout ceci me plaisait. J’avais à l’époque envie de cette abondance, de ces excès, de ces richesses, de ces lumières, j’étais attirée par l’interminable, l’intarissable. Très vite, je me suis attachée aux personnages de la cour d’Haroun Al Rachid. Certains récits persans ont attiré vivement mon attention. J’ai été profondément orientaliste, amoureuse des arabesques !

Question Deux : quels types de récits avez-vous choisi de raconter et pourquoi ?

J’ai tout conté, depuis les anecdotes de cour d’Isaac de Mossoul ou d’Abou Nowas, les états d’âme d’Haroun Al Rachid, le soutien ambigu de Giafar Al Barmakide son vizir, tous récits qu’on conte dans les cafés et appelle les contes d’homme, jusqu’aux grandes aventures merveilleuses traditionnellement repérées comme les contes de femmes tels que Farizade au sourire de rose, Hassan al Basri, Kamaralzaman, Les deux vizirs et Hassan Badr el dine ; Marouf le Cordonnier, etc. J’ai été intriguée par les derviches comme Al Khridr, et les bédouins du désert et ai approfondi ces répertoires. J’ai ajouté les 1001 Jours, les 101 Nuits...
En 1984, je pouvais conter les Nuits durant 50 heures environ. Aujourd’hui, il doit bien me rester 10 à 12 heures de ce corpus. Mon style étant plus sobre, je vais plus vite à la fin des histoires !
J’ai aimé que les récits des Nuits soient tant citadins avec ses ruelles, ses quartiers des parfumeurs, ses rues et ses voleurs… notre ville et notre vie quotidienne pouvait s’y projeter aisément.
Bien entendu, j’ai joué à l’infini avec les tiroirs et les enchâssements qui peuvent être virtuoses mais m’en suis méfiée aussi, car ils font perdre le sens des récits…
J’ai aimé la vastitude onirique des paysages, les sauts dans l’espace et la liberté que les génies donnent à l’action.
Malgré tout cela, je me suis lassée de « la menace qui rend géniale », c'est-à-dire du conte de Shéhérazade et de la violence latente hommes/femmes contenu dans ce grand livre, qui court sous bien des contes, quoi qu’on en dise. J’ai eu envie d’un corpus plus respectueux des femmes, plus sensible, plus fin, plus complexe.

Question 3 : Quelle est mon histoire préférée et pourquoi ?

Dans les Nuits à strictement parler – car le Loukoum appartient aux 1001 jours ! – je dirai que mon conte préféré est la Reine des Serpents, tout de suite après le rêve du pauvre homme et enfin Marouf le Cordonnier.
Ces contes ont su évoluer avec moi. Ils sont complets : drôles et profonds en même temps, ils plaisent à tout âge, c’est leur force et leur beauté. Ils sont mystérieux, aussi...
La Reine des Serpents contient, entre autres, des connaissances anciennes très précieuses sur les Simples, préservées par les matières orales : la puissance serpentine appartient à l’archétype mondial des herbes médicinales…
Quant à Marouf, il pose la question de la générosité créatrice. Avec son masculin vulnérable il fait un chemin très mystérieux.
Enfin, je dépose mon trésor le plus précieux sous la racine du Pauvre Homme….

Je ne saurais quitter cet article sans ajouter que je n’ai pu quitter les Nuits sans leur rendre hommage en apportant ma pierre, sous la forme du roman/conte Le Prince des Apparences. Ce fut ma manière de remercier le grand livre pour tout ce qu’il m’avait apporté.
 

Les Mille et une Nuits
Catherine Zarcate, pour La Grande Oreille 30 Oct 12